« Papa, où allons-nous ?
- Nous partons en
vacances, ma chérie… »
La petite n’a rien ajouté. Elle a fermé les yeux, et tous
deux sont partis.
Là-bas, c’était un petit coin de paradis, avec une maison
jaune, toute en bois, dans un jardin immense.
Mathilde y avait planté des framboisiers, et un cerisier,
tout petit, mais qui donnerait des fruits lorsque le temps aurait passé. Des
fruits pour les enfants.
robert la tenait par la main, la première fois qu’ils y
étaient venus. C’était comme par hasard : ils faisaient une grande
ballade, le soleil était chaud. La rivière n’était pas bien large, mais ils
s’étaient baignés.
A cette époque, la maison était fermée, et comme des
voleurs, ils avaient regardé à l’intérieur.
Ensuite, ils s’étaient allongés sur l’herbe. Robert avait
posé sa main sur l ventre de sa femme, un ventre rebondi, gonflé comme un
ballon . Un ventre à faire sourire. Un ventre à faire rêver.
« Ah ! si nous pouvions avoir une maison comme
celle-là ! »
Mathilde souriait, et ils étaient heureux.
Trois mois plus tard, Robert l’avait achetée. Il resterait
longtemps dans cette maison.
Six ans plus tard, il avait achevé de construire le garage,
un garage borgne : pour une R 25 c’était bien suffisant.
Mathilde avait accouché d’une fille. Robert était content.
Une fille, pour commencer, c’était charmant, tellement plus affectueux qu’un
garçon ! Un bien joli bébé, avec de grands yeux noirs, comme sa mère, et
de toutes petites mains, et de tout petits pieds. Robert était content. Il
avait dit : « Ce sera une femme superbe ! ».
La petite mangeait des framboises. Robert en était fier,
fier, malgré tout. Mathilde se tenait sur le pas de porte, un gant dans une
main : « Caroline ! Caroline ! Viens ici ! Ne touche
pas aux framboises ! Tu vas te salir avant d’aller chez le
médecin ! ». Robert avait souri à Caroline. Mathilde l’avait lavée.
Robert avait senti sa gorge se nouer.
Plus tard, ce n’était plus la peine d’aller chez le médecin.
Mathilde pleura longtemps, assise devant la cheminée. Robert
ne sut jamais comment la consoler. Ils auraient pu avoir un autre enfant, ils
en avaient tellement parlé !
Mathilde ne voulut jamais d’un autre enfant .
« Tout ça c’est de ta faute ! » Des mots
idiots, qu’il avait tout de suite regrettés, mais tout de suite, c’était déjà
trop tard !
« Papa, qu’est-ce que tu fais ?
- Je bricole, ma chérie, je bricole. »
Mathilde était partie.
Il était resté seul. Seul, à regarder sa fille jouer à la
poupée sous le grand cerisier.
Caroline ne pouvait plus aller à l’école. Elle en avait
toujours envie, mais elle ne pouvait plus.
Robert n’avait pas su comment lui expliquer…et si elle
comprenait ?
« Papa ?
Tu vas arroser le garage ?
- Non, non ma
chérie. J’ai juste besoin du tuyau. »
Robert n’avait pas su non plus comment lui expliquer
pourquoi elle jouait seule.
Robert perdait ses mots : sa femme, son boulot, ses
rêves…ses mots.
Il lui donnait le bain, il la faisait manger, elle jouait à
la poupée, et l’arbre grandissait.
La maison était verte, verte de moisissures. A quoi bon la
repeindre ?
Caroline aimait toujours autant les framboises.
Un jour, en passant par hasard devant le miroir, Robert vit
que ses cheveux étaient gris.
« Caroline ! Caroline ! En voiture, ma
chérie ! En voiture ma p’tite fille ! ma toute petite
fille ! »
Caroline posa sa poupée, et courut vers son père, ses gros
seins ballottant au rythme de sa course.
« Viens ici, ma chérie, monte dans la voiture. »
Caroline est montée.
Robert aussi est monté.
« Papa, où allons-nous ?
- Nous partons en
vacances, ma chérie… »
La petite n’a rien ajouté. Elle a fermé les yeux, et tous
deux sont partis.
Robert se réveille, allongé sous le grand cerisier. Deux
pompiers lui tiennent les bras. La porte du garage est restée fermée.