LONGUE
NUIT SOUS UN CRÂNE :
« Et si toute
ma vie n’avait été qu’un effort pour ne pas être celui-là ? »
Il dit et serre un
peu les poings.
Un objet insolite
pousse en axe fixe depuis le creux baveux qui lui sert d’estomac.
Son estomac se
fend.
Il dit, et , déjà, en axe régulier, en
long fil contondant, la peur lui pousse au ventre. La peur de ce qu’il est.
Il est debout, se tient debout, lui-même, un
axe.
Il est debout, mais
se sent allongé, plaqué au sol humide.
L’humidité remonte,
accompagne la peur.
La peur est élément
liquide, dedans, à l’intérieur.
Dehors, à
l’extérieur, tous se sont endormis.
« Si toute ma
vie n’avait été qu’un effort pour ne pas être celui-là ? »
Tous se sont
endormis. Lui, en lui-même, seul, veille.
Lui, Lui, et Lui.
Jamais seul,.
Toujours trois..
Toujours trois.
Jamais seul.
Jamais seul car,
là, bien au fond, où pousse à présent l’axe, poussait jadis Celui-ci, qui
nourrissait ce ventre, ce ventre déserté, ce ventre liquéfié.
Il faut boire
maintenant un tout autre potage !
Il faut boire la
lie, pour la changer en vin !
Et le sang qui
palpite à ses tempes, doit se changer en eau.
Qui boira de cette
eau ?
Qui boira de cette
eau ?
De cette eau pure
de sang ?
De cette eau,
pure : eau de vie ?
As-tu bu de cette
eau ?
- Non !
As-tu bu de cette
eau ?
- Non !
As-tu bu de cette
eau ?
- Non !
Lui, Lui, et Lui.
En dehors de lui, les hommes. Les hommes, qui
se sont endormis, saouls, comme des barriques . Les hommes qui se cachent.
Les hommes se
dénient ?
- Bien sûr !
Lui, il s’humidifie
par le sol, par la peur, par l’estomac, aussi, et puis par la Raison, par la
raison trompeuse :
« Non !
Non ! Et non ! ».
Est-ce cela, la Raison, Non ! Non !
Et non ?!
Le sol est
fendillé. Cocorico ! Et la Raison s’enfonce.
« Si toute ma
vie n’avait été qu’un effort pour ne pas être celui-là ? »
Il écoute son cœur,
son cœur tellement parfait. Il sent l’eau en son cœur, et il y sent le feu.
« Debout !
Debout les Morts !car je me tiens debout ! »
Les autres
entendent, et se réveillent, les yeux collés de cérumen, le cœur collé de
cérumen, les tripes obstruées par le cérumen jaunâtre, mais le sexe bien droit,
tendu comme une épée.
Le sexe, levé au
ciel.
Pauvres hommes, ils
n’ont que leur semence pour les éterniser, eux qui se lèvent, avec les yeux collés.
« Debout !
Debout les Morts ! »
Mais il parle aux
vivants, et les vivants s’en foutent. Et les vivants s’en vont, ronfler un peu
plus loin…
Lui, Lui, et Lui.
Autant dire
personne dans ce monde insolite, où les Justes se sont allongés.
Il se tient debout,
et les bras écartés.
Sans effort !
Sans effort.
« Avec l’agilité du funambule.. »
« Si toute ma
vie n’avait été qu’un effort pour ne pas être celui-là ? »
Lorsque tu peux
prendre, pourquoi ne pas tendre la main ?
Lorsque tu peux
gouverner, pourquoi te taire,
Lorsque tu peux
survivre, pourquoi t’entêter à Etre, et te dissoudre ?
Lorsque tu peux
dire : Non !
Lorsque tu peux
dire : Non !
Lorsque tu peux
dire :Non !…Et le sexe dressé, baisser encore la tête, et bâillonner
le cœur, des fois qu’il parlerait !
Lui, Lui, et Lui.
Si…Si…Si…Nous
serions tous vivants , et rien d’autre !
L’oreille lui en
tombe, à celui qui arrive, et le sexe en avant, et le cœur bâillonné !
L’oreille lui en
tombe, d’entendre le silence sans l’avoir demandé : on lui coupe l’oreille
pour qu’il n’entende pas .
Lui, Lui et Lui se
redresse. Va-t-il mourir pour ça ?
- Oui !
Pour que les sourds
castrent les sourds ?
- Oui !
Pour que les sourds
castrent les sourds, et se barrent en courrant ?
- Oui !
Pour que les sourds
castrent les sourds, et se barrent en courrant, et puis un jour s’arrêtent, et
se mettent à pleurer…
Il faut boire la
lie pour la changer en vin.
Toute une vie, sans
effort, puisqu’il est celui-là.
Qui donc est
réellement celui qu’il prétend être ? Celui-ci est toujours celui-là
inventé, car il ne se voit pas, et ne voit pas le fil : il marche.
« Avec
l’agilité du funambule… » , et avec l’ingénuité de l’enfant…
Celui-là
s’est
lavé…Celui-ci s’est servi…Celui-là a
joué…Celui-ci déchiré le peu qu’il
lui
restait de pourpre au sentiment…
Et tous ceux-là se
portent sur le dos d’un seul homme.
Et tous ceux-là sont un fardeau, qui se porte
quand même, et les bras écartés, et
l’eau coulant des yeux, et le sang de la plaie pour qu’il se change en
feu et brûle enfin les sourds, les dormeurs, les braillards, les éjaculateurs
du Soi, un et un, seuls, et qu’en leurs tripes chaudes, quand même, la question
se pose, éternellement : si Celui-là était le double aussi redouté
qu’attirant de Celui-ci ?